Un groupe patronal dans le jardin de la sous prefectureFougères, comme une grande partie de la Bretagne, a longtemps été marquée par l'industrie textile. Au XIXe siècle, cette activité est en déclin et la ville se tourne vers la confection de chaussons tressés[1]. Au Second Empire, celle-ci est remplacée par la fabrication de chaussure. Elle devient rapidement une activité essentielle de la ville, avec une classe ouvrière d'environ 12000 ouvriers au début du XXe siècle, en comptant les activités annexes qui y sont liées. Cependant les usines restent de tailles variables allant de la simple entreprise familiale à la manufacture mécanisée.

À l'automne 1906, le patronat entame des négociations usine par usine afin de revoir les tarifs auxquels les ouvriers sont rémunérés. Mais ces négociations échouent et une grève partielle est organisée par les ouvriers. La réponse patronale se traduit par un lock-out, la fermeture des entreprises, pour obliger les ouvriers à accepter leurs conditions. Le 13 novembre 1906, la grève générale est votée déclenchant ainsi un conflit qui allait durer trois mois.

Le syndicat « rouge »[2] de la Bourse du Travail, qui compte environ 1200 membres, coordonne le mouvement et la solidarité s'installe entre les travailleurs. Des soupes communistes sont organisées . Ce sont plusieurs centaines de repas qui sont distribués par jours aux ouvriers grévistes sans revenus et à leurs familles. Le 9 décembre, une centaine d'enfants d'ouvriers que l'ont ne peux plus nourrir correctement, sont envoyés dans des familles d'accueil à Rennes. D'autres enfants partent tout au long de la durée de la grève à Saint-Nazaire, Laval, à Flers et même à Paris.

Les patrons des principales usines se regroupent dans un syndicat pour poursuivre les négociations, mais le syndicat « rouge » n'est pas reconnu et est écarté des discussions. Le syndicat patronal préfère traiter avec le syndicat peu combatif des « jaunes » de la bourse indépendante, d'environ 200 membres. Ce dernier avait déjà signé les premiers accords sur les tarifs des ouvriers avant le début du conflit. Avec sa participation, les patrons tentent par tous les moyens de casser la grève générale. Le 9 janvier 1907, soutenus également pas les gendarmes, ils décident de rouvrir les usines pour que les ouvriers les plus modérés puissent reprendre le travail. Des manifestations se tiennent sans incidents devant les usines et les grévistes obligent le syndicat patronal à refermer leurs usines. Un mois plus-tard, la veille de la reprise du travail, un gréviste est assassiné par un « jaune » pour pousser les ouvriers à commettre des actes de violence.

Une commission parlementaire arrive à Fougères au mois de janvier pour débloquer la situation. Les négociations reprennent entre le syndicat patronal et les délégués du syndicat rouge enfin reconnus. Le travail reprend le 11 février après 103 jours de conflits et de longues négociations usine par usine. Cette grève n'apporte qu'une infime augmentation de salaire pour les ouvriers mais c'est une victoire plus profonde. Elle permet la reconnaissance du syndicat rouge à Fougères et plus largement celle d'un syndicalisme combatif en Bretagne.

 

 

[1]    Les ouvriers sont appelés des chaussoniers, terme qui restera pour désigner les ouvriers  de l'industrie de la chaussure.

[2]    Appellation générale qui désigne un regroupement plusieurs syndicats de Fougères : celui des socialistes, celui des coupeurs et celui des cordonniers.